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Manuel Guţan (Université « Lucian Blaga » de Sibiu, Roumanie)

Un cas roumain d’acculturation juridique: la Délégation du Conseil départemental (1864-1936)

Table de Matières:
I. L’administration publique départementale roumaine dans la perspective de la modernisation
II. Le département dans la réforme de Cuza (1864)
III. De la Députation permanente à la Délégation départementale (1866-1894)
IV. La Délégation du Conseil départemental à l’époque d’entre les deux guerres (1925-1936)
V. Conclusions

I. L’administration publique départementale roumaine dans la perspective de la modernisation

Les années du règne du prince Al. I. Cuza (1859-1866) offrent au chercheur l’image impressionnante d’un immense chantier institutionnel. Édifié en vue de la construction et puis de la consolidation du jeune État national et unitaire, le processus de modernisation n’a négligé aucun aspect de la vie sociale, économique, politique et juridique roumaine. D’énormes énergies réformatrices ont été déployées dans ce but, par un exécutif qui travaillait contre la montre pour le changement du pays.

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L’importance de la réforme modernisatrice se mesure surtout par l’urgence avec laquelle les anciennes institutions juridiques et politico-juridiques du pays ont été changées. Dans ce contexte, la réforme a été achevée, moins par une exploitation des ressources propres à la culture juridique roumaine que par une sensible tendance à l’importation juridique des institutions occidentales considérées comme parfaites. Pour cette raison, la modernisation a moins eu en vue la recherche d’une identité institutionnelle juridique roumaine propre, qu’une transformation inspirée par l’Europe occidentale de l’époque.

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En matière de droit public, l’importation irrationnelle, qui souvent manquait d’accents critiques, a été justifiée par la nouveauté des institutions qui devait être empruntées. Le caractère féodal de certaines institutions du droit public roumain, l’échec fonctionnel des autres et l’existence d’un impérialisme juridique plus ou moins caché, venu de la part des grands pouvoirs européens, ont transformé la Roumanie de Cuza en un récepteur idéal d’institutions juridiques occidentales.

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Ce processus n’a pas surpris, loin s’en faut, la société roumaine. Une bonne partie de l’intelligentsia roumaine de l’époque, souvent formée dans les Facultés de Droit françaises, s’est transformée en parfait instrument préparant, du point de vue idéologique et programmatique, l’importation juridique. En jouant, naturellement, le rôle civilisateur du héros providentiel, ces élites ont apporté aux Principautés Roumaines la philosophie des libertés locales et ont crée le cadre nécessaire à la modernisation de l’administration publique locale roumaine.

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Tandis que la décentralisation administrative territoriale au niveau des villes et, partiellement, au niveau des villages, avait été achevée depuis 1831 par les Russes, à travers les Règlements Organiques, on ne pouvait parler de l’existence de collectivités locales territoriales intermédiaires entre village/ville et État que depuis 1848. La bonne connaissance du système départemental appliqué en France et en Belgique a déterminé les réformistes à prendre en considération la renonciation au caractère de simple circonscription administrative du département et à lui conférer le régime d’entité administrative territoriale décentralisée. Au-delà de toute conceptualisation doctrinale, l’existence d’un département, en tant que collectivité territoriale locale, a été demandée dans des programmes révolutionnaires rédigés à la demande de Mihail Kogălniceanu en 1848, par des juristes roumains renommés comme Ion Ghica et Vasile Boerescu, qui ont déployé une riche activité de propagande dans la période 1848-1861, ainsi que par le Divan ad-hoc de la Moldavie1. Le projet de réforme le plus détaillé, qui appartenait a V. Boerescu, proposait la reproduction du modèle français dans la construction des institutions de l’autonomie administrative départementale et, par conséquent, l’introduction de la triade préfet – Conseil de préfecture – Conseil général. Le projet démontrait le fait que la formule napoléonienne pouvait se constituer, non comme source unique d’inspiration, mais au moins comme alternative sérieuse à la future réglementation de l’autonomie départementale.

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La réforme départementale, proposée de façon enthousiaste et idéaliste, devait se réaliser en dépit des réalités territoriales existantes. Une toute autre perspective fut celle de la Commission européenne envoyée, en 1857, dans les Principautés, afin de faire des propositions pour la future organisation interne de celles-ci. L’analyse des données concrètes de la société roumaine mit en évidence l’absence, au niveau des départements, d’un esprit public nécessaire à la consécration des libertés locales. Par conséquent, les commissaires européens remarquèrent que l’introduction de l’institution des Conseils de district dans les Principautés serait, pour le moment au moins, non seulement prématurée, mais, jusqu’à un certain point, même dangereuse2. En prenant en considération la proposition de la Commission, la Convention de Paris de 1858 ne faisait aucune place à la décentralisation administrative sur des bases départementales.

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II. Le département dans la reforme de Cuza (1864)

La volonté ardente du législateur roumain de moderniser la Roumanie à tout prix apparaît avec le plus d’éclat en matière d’administration locale. Bien que la Commission européenne ne l’eût pas recommandé et que la Convention de Paris ne l’eût pas prévu, le gouvernement de M. Kogălniceanu proposa, en mars 1864, à l’Assemblée élective, Le Projet de Loi pour la création des Conseils généraux dans les districts de la Roumanie. L’absence d’une tradition roumaine en la matière et l’autorité des modèles étrangers entraînèrent l’absence du moindre débat parlementaire sur le texte de loi proposé.3 À la différence du débat sur la Loi communale, lors duquel l’existence des traditions roumaines d’organisation sur les bases de l’autonomie administrative des villes et villages souleva de nombreux problèmes sur le fond4, la discussion sur l’organisation départementale commença et se termina le même jour et ne suscita que des amendements formels.5.

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Malgré le fait que le titre original du projet de loi laisse croire que le gouvernement Kogalniceanu a adopté la triade française préfet – Conseil de préfecture – Conseil général, de l’organisation départementale, l’étude du texte de la loi montre une autre chose. Le modèle français a été abandonné6 en faveur de la triade Conseil départemental – Députation permanente – préfet, appartenant au modèle belge. Bien que Kogalniceanu ne se fût pas exprimé publiquement contre le modèle français, la réglementation centralisatrice de l’administration départementale dans la France de Napoléon III ne correspondait pas à la vision du premier ministre roumain des libertés locales. C’est ainsi que la législation belge relative à l’administration publique locale s’imposa au niveau de l’organisation communale et, surtout, au niveau de l’organisation départementale. On doit pas, toutefois, écarter toute influence du modèle français : la législation belge en la matière était profondément tributaire, tant au niveau des principes que vis-à-vis des institutions, de la législation française.7 Par conséquent, il serait plus correcte de soutenir que la Loi pour les Conseils départementaux consacrait un mélange de principes et d’institutions français, d’une part, et, d’autre part, des institutions propres au législateur belge.

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Sans l’avantage de la tradition, dominé par le prestige de la législation belge et le désir de consacrer le système départemental, le législateur roumain est tombé, inévitablement, dans la piège des constructions de laboratoire. Confrontée aux réalités roumaines, la loi mettait en évidence ses propres inconvénients et ses dangers.

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À coté d’un Conseil départemental élu par un vote censitaire et d’un préfet assumant une double fonction (représentant du Gouvernement sur le territoire et représentant des intérêts départementaux) issu de la législation de l’an VIII de la Révolution française, la Députation permanente devait se constituer en tant qu’organe essentiel de décentralisation départementale. À première vue, quant aux attributions, ces institutions respectaient un autre célèbre principe de l’an VIII : agir c’est le fait d’un seul, délibérer est le fait de plusieurs. Ainsi, la délibération revenait aux organes collégiaux : au Conseil départemental pour tous les intérêts exclusivement locaux du département et à la Députation permanente pour l’administration journalière des intérêts exclusivement locaux du département, lorsque le Conseil ne se trouvait pas en session. En outre, la mise en exécution des décisions des deux organes revenait à un organe unipersonnel, le préfet. À y regarder de plus près, on peut constater que le législateur belge, et le législateur roumain après lui ont dévié de ce principe, en octroyant à la Députation permanente des attributions dans le domaine de l’action administrative – par exemple, d’initier des procès, des actions possessoires, de faire des actes conservatoires sur les biens meubles du département –, le préfet étant associé au vote délibératif dans le cadre de la Députation8.

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Ces aspects n’auraient pas atteint le principe de la décentralisation administrative si le préfet roumain avait réussi à faire, dans sa propre personne, la distinction entre les intérêts de l’État et ceux du département, et si le Gouvernement avait entendu laisser au préfet la liberté de se conformer librement à la loi. Malheureusement, la tradition roumaine et les intérêts politiques ont été contre l’autonomie départementale. Traditionnellement, le représentant du centre au niveau départemental a été, chez nous, plutôt un élément actif de la politique du centre (quand il n’était pas subordonné à ses propres intérêts) qu’un défendeur des intérêts des habitants du département.9 Dans ces conditions, il n’a pas été très difficile au nouveau préfet de se transformer (aussi) en un représentant des intérêts de la collectivité locale départementale, et ce d’autant plus que le Gouvernement désirait avoir avec lui une relation de fidélité calquée sur le modèle du centralisme français.

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Par conséquent, la décentralisation administrative au niveau départemental avait peu de chances de s’imposer. Le coup de grâce est venu de la manière de réglementer la relation entre la Députation permanente et le préfet. Bien que le législateur ait voulu transformer cet organe en un représentant de l’administration départementale décentralisée, il n’a fait que le mettre dans la main du Gouvernement. Et cela parce qu’au préfet étaient confiées, non seulement la présidence, mais aussi voix délibérative lors des séances de la Députation. En outre, en cas de parité, son vote était prépondérant10. Tenant compte de l’activité (naturellement) quasi-permanente de la Députation11 et du fait que celle-ci pouvait se prononcer aussi sur des questions exclusivement réservées au Conseil12, la Députation permanente se transformait en véritable organe délibératif du département et le préfet en un représentant suprême des intérêts départementaux. Ceci ne pouvait être empêché par le fait que les décisions prises par la Députation pour les questions exclusivement réservées au Conseil devaient lui être communiquées. Conformément à la loi, le Conseil ne pouvait pas révoquer ou modifier ces décisions si elles avaient été mises à exécution. Et, comme l’exécutant des décisions était aussi le préfet, il ne lui était pas difficile d’imposer sa volonté, d’autant que le Conseil ou la Députation n’avaient aucun contrôle sur sa manière de les exécuter. En outre, dans le cas où le préfet considérait que les décisions de la Députation étaient contraires aux intérêts du département, il pouvait les attaquer par un recours au Gouvernement, celui-ci étant suspensif. Ainsi, le préfet pouvait bloquer les décisions prises par la Députation en dépit de sa volonté.

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Dans ces conditions, la Députation permanente pouvait se transformer, sans problèmes, en organe de promotion des intérêts du Gouvernement au niveau départemental.

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Aux attributions déléguées de la Députation permanente, déjà mentionnées, la loi ajoutait quelques attributions propres. Les plus importantes étaient le droit de proposer le budget du département et d’ordonner des crédits au niveau départemental, l’exercice de la tutelle administrative sur les actes des conseils communaux et de la majorité des conseils municipaux. La solution était discutable du point de vue doctrinal, car la tutelle administrative, par sa nature-même, aurait du être exercée par des organes appartenant à la hiérarchie de l’administration étatique et non par un organe de l’administration publique (théoriquement) décentralisée.

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III. De la Députation permanente à la Délégation départementale (1866-1894)

L’époque de la monarchie constitutionnelle parlementaire a permis l’assimilation dans la vie administrative roumaine des nouvelles constructions législatives. Elle a permis aussi leur « roumanisation », par le dépassement du conflit entre la forme et le fond, dans le cadre d’une formule fonctionnelle imposée par les réalités du territoire. Malheureusement, cette formule s’est présentée sous tous les aspects négatifs possibles, certains d’eux étant annoncés par le texte de la loi lui-même. La qualité du préfet de président ayant droit de vote délibératif et prépondérant, dans le cadre d’un organe dominé par les règles du jeu politique des membres du même parti, a mis la Députation dans la main des intérêts du parti de gouvernement. Dans le cas (très rare) où le Conseil et la Députation étaient dominés par des membres du parti adversaire du préfet, l’activité de la Députation était bloquée et demandait, le plus souvent, la dissolution des organismes délibératifs départementaux. Tout cela annulait, du point de vue fonctionnel, l’autonomie administrative au niveau départemental.

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Cette évolution de l’institution a imposé aux législateurs de l’époque l’obligation de reformer la Députation permanente, tant sous l’aspect de l’organisation que des attributions. La charge est revenue aux libéraux et aux conservateurs qui, durant cette période, ont alternés au pouvoir et qui, les uns et les autres, agitaient le drapeau de la décentralisation administrative.

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Désireux de maintenir l’institution de la Députation permanente dans le contexte spécifique à l’administration roumaine, les conservateurs et les libéraux ont tiré les conclusions doctrinales correctes de la situation donnée et ont réussi, au début, à lui donner une organisation dont l’opportunité ne pouvait pas s’entrevoir en 1864.

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En 1872, les conservateurs, se trouvant au pouvoir, ont appelé à la solution qui s’imposait logiquement à n’importe quel observateur de la vie administrative départementale : ils ont oté au préfet la qualité de président de la Députation. L’ajustement ne s’est pas fait dans le but d’éliminer les interventions politiques, mais pour raison d’organisation rationnelle de la vie administrative départementale : dans la Circulaire du ministre de l’Intérieur Lascăr Catargiu d’avril 1872on lit que : Le préfet chargé de l’exécution des lois dans son département et de l’administration pure, et en même temps en tant que président de la Députation permanente agissant pour les intérêts économiques du département, ne pouvait pas accomplir aussi bien les deux charges. En tant que préfet, il était appelé à faire de fréquentes excursions dans le département. En tant que président de la Députation il était appelé à être sans cesse en séance, la Députation ne pouvant pas travailler en son absence. En laissant à la Députation et au Conseil la partie purement économique et au préfet la partie administrative des besoins du département, j’espère que les choses iront mieux.13Mais la réforme était destinée à soustraire la Députation de l’influence politique majeure du préfet. On ne sait pas exactement dans quelle mesure cette disposition a protégé le président de la Députation de l’influence du Gouvernement, car le premier était proposé par le Ministère de l’Intérieur et nommé par le Prince parmi les trois membres élus de la Députation.

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Bien que le problème majeur de la Députation du point de vue formel et organisationnel fût résolu, les choses restaient sans changement. Le préfet mettait à exécution les décisions du Conseil et de la Députation sans que ceux-ci n’eussent la possibilité de contrôler son activité en ce sens.

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Les choses ont changé fondamentalement en 1883. Désireux de réaliser une vraie décentralisation et beaucoup plus disponibles pour mener à terme cette logique doctrinale, les libéraux ont oté au préfet toute attribution de représentant des intérêts départementaux. Le président de la Députation, nommé par le Prince parmi ses membres, assumait toutes les attributions du préfet en la matière. Il devenait ainsi implicitement un exécutant des décisions du Conseil et de la Députation, et le préfet agissait seulement lorsqu’on le lui demandait. Resté simple représentant du Gouvernement dans le département, le préfet était éliminé du schéma des organes de l’autonomie administrative départementale. En déviant du modèle franco-belge adopté en 1864, le législateur libéral établissait une formule plus adaptée aux réalités roumaines du moment et qui, en même temps, était, du point de vue doctrinal, la solution idéale pour l’avenir : les intérêts des collectivités territoriales devaient être confiés aux organes qui en étaient issus, tandis que les intérêts généraux au niveau local devaient être confiés aux organes séparés de la hiérarchie administrative étatique.

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Tandis que tout paraissait, au moins théoriquement, résolu, la loi des conservateurs pour les Conseils départementaux du 12 avril 1894 survint comme un coup de théâtre. Bien qu’on eût établi en 1883 un équilibre correcte entre le Conseil, la Députation et le préfet, le législateur supprimait la Députation permanente de la loi de 1864. Le courant réformateur, qui se manifesta dès 1883, était justifié par les conservateurs au moyen de raisons fonctionnelles politiques, doctrinaires et conservatrices. Organe soumis aux influences politiques du préfet14, avec une activité bloquée par l’absence de collaboration de ses membres délégués avec le Conseil, doué d’attributions exécutives (bien que la doctrine estimât que l’exécution devait appartenir aux organes unipersonnels15) et, surtout, copié sur des lois étrangères à l’esprit roumain, l’institution de Kogalniceanu de 1864 était condamnée à disparaître.

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Au lieu de la Députation, la loi créait une Délégation départementale composée par trois membres et trois suppléants, élus pour deux années parmi les membres du Conseil. Elle était présidée par le plus âgé de ses membres et avait son siège à la préfecture. La Délégation avait le droit d’élaborer son propre règlement intérieur, qui était soumis à l’approbation du Conseil départemental. Le préfet était obligé de participer à ses séances et devait être écouté chaque fois qu’il demandait la parole.

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Bien qu’on attendît que les attributions délibératives de la Députation revinssent au Conseil, qui les lui avait déléguées, ou à la nouvelle Délégation départementale, et que les attributions exécutives fussent laissées à la charge du président de la Délégation ou octroyées au président du Conseil, le législateur ne fit rien de cela.

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On octroya seulement à la délégation quelques attributions de contentieux électoral et de tutelle administrative en matière fiscale et budgétaire sur les communes, ce qui la transformait plus en une « simple commission  de comptes »16 qu’en un organe des intérêts départementaux.

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En échange, toutes les attributions de l’ancienne Députation permanente étaient transférées par la loi au préfet, qui, non seulement regagnait son statut de chef de l’administration publique départementale, chargé de l’administration active, mais obtenait aussi des attributions délibératives. Le législateur était tombé dans l’autre péché doctrinal, qui interdisait l’octroi d’attributions délibératives à un organe unipersonnel. Nommé par le Gouvernement, il exécutait toutes les décisions du Conseil départemental et représentait, entre les sessions, le Conseil, en préparant les éléments et les clarifications nécessaires pour les questions qui allaient être soumises au Conseil dans la session suivante. Dans cet intervalle, en cas d’urgence absolue et sur avis conforme de la Délégation départementale, le préfet pouvait se prononcer sur des questions spécialement réservées au Conseil, à l’exception du budget et des comptes du département. Ses décisions étaient exécutées immédiatement, après l’approbation du roi, le Conseil ne pouvant pas modifier ou révoquer ce qu’on avait déjà exécuté. En cas de dissolution du Conseil, le préfet demeurait seul chargé de l’administration des intérêts locaux du département, jusqu’à l’installation d’une nouvelle Délégation élue par le nouveau Conseil. L’excessive centralisation administrative imposée par la loi était illustrée aussi par le fait qu’en cas d’absence ou d’empêchement (sic !) du préfet, toutes ou partie de ses attributions en tant que représentant ou gestionnaire des intérêts départementaux pouvaient être déléguées, non à un organe administratif décentralisé, mais au directeur de la préfecture en sa qualité de représentant du Gouvernement.

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L’explication de ce nouvel état des choses était fondée par le législateur sur l’autorité et le prestige du préfet dans le département17, alors même qu’il n’était pourtant destiné qu’à soumettre l’administration départementale à ses intérêts et à ceux de son parti.

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On avait octroyé ainsi au préfet des pouvoirs exorbitants au niveau départemental, en lui permettant de délibérer en matière d’intérêts départementaux la plupart de l’année, d’appliquer ses propres décisions et aussi – situation inacceptable du point de vue doctrinal18 – celles du Conseil, qui n’avait aucune possibilité de contrôler la manière dont il exécutait ses décisions.

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Dans ces circonstances, l’époque d’avant la première guerre mondiale s’achevait, s’agissant de l’administration publique départementale, par un considérable renforcement du centralisme administratif et un vaste échec de l’institution de la Députation permanente.

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IV. La Délégation du Conseil départemental à l’époque d’entre les deux guerres (1925-1936)

La formation de la Grande Roumanie en 1918 a obligé le législateur roumain à repenser l’organisation de l’administration locale, en considérant les desiderata doctrinaux de décentralisation et de déconcentration administratives, ainsi que l’héritage institutionnel des nouvelles provinces roumaines intégrées dans le nouvel État roumain.

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L’élévation du fameux principe de la décentralisation administrative au rang de fer de lance de la réforme de l’administration locale a imposé la reconsidération de l’organisation de l’administration publique départementale, qui était plus centralisée que jamais. Comme dans beaucoup d’autres cas, l’unification administrative a été faite en imposant les institutions de l’ancien Royaume de Roumanie aux nouvelles provinces. Tel fut le cas de la Délégation départementale, généralisée, après 1925, à l’ensemble du pays.

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Partie intégrante de structures administratives locales excessivement centralisées dès avant la guerre, la Délégation départementale de l’année 1894 devait être complètement réorganisée. Le législateur roumain renonça ici à la formule conservatrice, en essayant d’éviter autant que possible le modèle belge de la loi Kogalniceanu de 1864. Malheureusement, on ne revint pas à la formule adoptée en 1883, considérée comme excellente du point de vue doctrinal, mais peu efficace dans la vie administrative roumaine. Une nouvelle structure aurait pu être plutôt trouvée dans le modèle français de la Commission départementale, tel qu’il avait été réglementé en 1871. Au lieu de cela, on se trouve en présence d’une délégation départementale roumaine douée d’attributions délibératives et exécutives très larges et beaucoup plus diverses. Selon le modèle de la loi française, la législation roumaine de l’époque octroyait à la Délégation départementale le droit de délibérer dans des matières expressément déléguées par le Conseil, en respectant certaines limitations légales, des attributions exécutives dans des diverses matières de l’administration départementale, ainsi que le droit de donner des consultations pour des problèmes d’intérêt local.

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L’existence ou l’inexistence d’une décentralisation administrative dépendait aussi du rôle joué par le préfet dans l’administration départementale. De ce point de vue, la législation d’entre les guerres a proposé trois solutions au rapport Délégation-préfet :

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a) La solution libérale de la loi d’unification administrative de 1925. En maintenant la dualité des fonctions du préfet, la loi roumaine se rapprochait fortement de la loi française. Ainsi, voyant maintenue sa qualité de représentant des intérêts départementaux, le préfet conservait un rôle important dans la vie administrative du département. Malheureusement, en ignorant l’expérience négative du passé, la loi intégrait de nouveau le préfet dans la zone délibérative de l’administration départementale, en lui offrant la présidence de la Délégation, lors du vote délibératif. On faisait ainsi un immense pas en arrière, non seulement par rapport à la loi libérale de 1883, mais aussi par rapport à la loi française qui avait pour but de transformer le préfet en agent d’exécution des délibérations des représentants de la collectivité du département.19

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b) La solution libérale de la loi administrative de 1936. En suivant la formule de la loi française, la loi roumaine de 1936 octroyait la présidence de la Délégation non au préfet, mais à un président élu parmi ses membres. Dans ces circonstances-là, le préfet gardait seulement des attributions exécutives pour la mise en oeuvre des décisions du Conseil et de la Délégation, la direction des services départementaux et la réalisation des inspections, l’ordonnancement des crédits, la défense en justice des intérêts du département et la réalisation des actes de conservation sur la fortune mobilière et immobilière du département.

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Malgré ce rapprochement de la loi française, la loi de 1936 et, dans une moindre mesure, la loi d’unification de 1925 ne prévoyaient pas des mécanismes nécessaires – mis par la loi française dans la main de la Commission départementale – pour que la Délégation pût surveiller la manière dont le préfet accomplissait ses attributions exécutives au niveau départemental. Alors que les Français, en désirant garder le préfet dans l’administration départementale, ont développé un mécanisme destiné à contrebalancer l’autre qualité de celui-ci – de représentant du Gouvernement20 – le législateur roumain s’est appuyé encore une fois sur la conscience de ces fonctionnaires recrutés politiquement, qui se sont révélés, plus d’une fois, complètement dévoués à la cause du parti de gouvernement. Dans ces circonstances, les deux lois n’ont fait que maintenir le haut degré de centralisation administrative existant avant la première guerre mondiale.

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c) La solution de la loi administrative de 1929 réglementait aussi les trois types d’attributions de la Délégation départementale mais, en ce qui concerne le rapport Délégation-préfet, la solution était complètement différente des deux lois libérales mentionnées. Au lieu de prévoir un préfet maintenu dans l’administration départementale, mais sous le contrôle de la Délégation (le modèle français), la loi l’extrait complètement de l’administration départementale et le remplace par un préfet administratif, en la personne du président de la Délégation départementale. Le législateur (dominé par le Parti paysan) revenait ainsi à la solution idéale du point de vue doctrinal pour l’administration roumaine, créée en 1883 par les libéraux. Sa qualité d’organe exclusif de l’administration départementale a permis à ce préfet administratif de détenir la présidence de la Délégation, ainsi que de cumuler de larges attributions dans l’exécutif départemental, y compris l’application des décisions du Conseil et de la Délégation, sans peur de voir son activité détournée par les problèmes généraux de l’État. Ainsi, le législateur roumain a pu facilement réglementer les mécanismes légaux par lesquels le président de la Délégation était contrôlé par le Conseil et la Délégation. Il était obligé ainsi de rapporter sur l’état de l’administration générale, sur l’activité des fonctionnaires départementaux et communaux, sur la fortune des communes et sur les mouvements importants faits dans l’administration (article 255).

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V. Conclusions

Bien que la loi de 1929 ait réalisé, sous l’aspect qui nous intéresse, une décentralisation administrative sans précédent, elle a dû céder rapidement au besoin de centralisme administratif des gouvernants de l’époque. Malgré cet échec, l’entière évolution de l’institution de la Délégation départementale a mis en évidence le fait que la solution découverte pour la première fois par les libéraux en 1883 et reprise par le parti paysan en 1929 sur le rapport Délégation-préfet était la plus adéquate pour la Roumanie. L’idée fondamentale est que cette solution a été choisie dans le cadre d’une évolution naturelle de l’institution, de la formule abstraite de l’importation, à la structure imposée par la vie administrative concrète. Bien que sans originalité, ce type d’organisation donnait une chance à la décentralisation administrative au niveau départemental en Roumanie. Malheureusement, des perspectives idéologiques réductionnistes, des intérêts nationaux malentendus et le besoin des partis politiques de contrôler la vie administrative locale, ont repoussé cette solution, dans l’attente de temps meilleurs.

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Notes:

1 Pour plusieurs détails, voir M. Guţan, Fundamentele ideologice şi programatice ale reformelor administraţiei publice locale din epoca lui Cuza (1848-1859), in Acta Universitatis Lucian Blaga, Seria Jurisprudentia, nr. 1-2/2001, pp. 166-178

2 D. A. Sturdza, C. Colescu-Vartic, Acte şi documente relative la istoria renascerei Romaniei, Vol. VI, Partie II, Institutul de arte grafice Carol Gobl, Bucureşti, p. 613

3 Voir Supplément no. 160 au Moniteur Officiel, séance LVIII du 10 mars 1864

4 Voir Supplément no. 123-154 au M.O., séances XLVII-LVII du 24 février-9 mars 1864

5 On a proposé et approuvé quelques équivalences terminologiques : district-département (judet), ocol-plasă, greffier-secrétaire. Par conséquent, la loi a été votée sous le nom de Loi pour la création des Conseils départementaux.

6 Ce choix atteste toutefois la résistence du législateur roumain, du moins en ce qui concerne l’administration locale, à l’idée de l’assimilation dans le domaine administratif d’une fonction juridictionnelle à coté de la déliberation et de l’exécution (action). La doctrine française de la triple fonction de l’administratif était illustrée par la triade mentionée : le conseil général = la déliberation, le préfet= l’action, le conseil de préfecture = la juridiction administrative.

7 Voir Claude Wilwerth, Les influences du modèle napoléonien sur l’organisation administrative de la Belgique, in Les influences du « modèle » napoléonien d’administration sur l’organisation administrative des autres pays. Cahiers d’Histoire de l’Administration, Bruxelles, 1995, pp.115-134

8 Ainsi construite, la Députation permanente ressemblait plutôt au Directorat départemental de l’année 1790 en France, chargé en même temps d’attributions délibératives, exécutives et judiciaires. Voir Th. Ducrocq, Cours de droit administratif, t. I, Paris, Ancienne librairie Thorin et fils, 1897, pp. 134-135

9 En France, les intendants de l’Ancien Régime – représentants du Roi au niveau local – ont joué un rôle essentiel dans la défense des intérêts du territoire contre le centre. Cette réalité fonctionnelle a été le fondement de la consécration de la dualité fonctionnelle du Préfet napoléonien. Voir François Burdeau, Histoire de l’administration française du 18e au 20e siècle, Paris, Montchrestien, 1995, pp. 81-82 şi 213-214

10 La disposition était évidemment déstinée à mettre la Députation à la disposition du préfet et, implicitement, au Gouvernement, alors que la loi belge n’octroyait pas un vote prépondérant au gouverneur. Voir A. Giron, Le droit administratif de la Belgique, 2e éd., Bruxelles-Paris, 1885, p. 122

11 Tandis que le Conseil se réunissait une seule fois par an pour trois semaines en séance ordinaire, la Députation fonctionnait tout le reste de l’année.

12 A l’exception du budget départemental et des nominations ou destitutions des fonctionnaires dans les postes qui dépendaient du Conseil.

13 Voir I. M. Bujoreanu, Apendice la colecţiune de legiuirile României vechi şi noi, Vol. II, Noua tipografie a laboratorului român, Bucureşti, 1875, p. 55 (Lois départementales et communales).

14 M. Of. de 12 février 1893, Débats du Sénat, p. 250

15 Voir G. Mârzescu, Rezumatul dezbaterilor din Senat, Tipo-litografia şi fonderia de litere Dor. P. Cucu, Bucureşti, 1890, p. 49. Voir aussi M. Of. de 12 février 1893, Débats du Sénat, p. 249. L’intention des conservateurs de révolutionner l’institution par des ressources propres et par le rejet de l’importation étrangère était évidente ici. Et cela parce que les Français, dans la loi départementale du 10 aout 1871, avaient renoncé à l’application stricte du principe de l’an VIII. La loi créait, d’après le modèle belge, une Commission départementale douée d’attributions délibératives et exécutives. Voir G. Sautel, J.-L. Harouel, Histoire des institutions publiques depuis la Révolution francaise, Dalloz, Paris, 1997, p. 426. Ces dispositions auraient pu se constituer en une solution efficace au problème issu en Roumanie.

16 L’affirmation appartient à Polizu Micşuneşti, le rapporteur du projet de loi administrative dépose au Sénat en 1898. Voir P. Negulescu, R. Boilă, G. Alexianu, Codul administrativ adnotat, Bucureşti, 1930, p. 509. Malheureusement cela se passait dans la période où les Français voulaient renforcer l’autonomie locale par la création des Conseils départementaux. Cette Commission recevait alors d’importantes attributions exécutives ainsi que le droit de surveiller l’activité du préfet dans l’exécution des décisions du Conseil général et dans certaines matières d’intérêt départemental. Voir Th. Ducrocq, op. cit., pp. 252-271.

17 M. Of. de 12 février 1893, Débats du Sénat, p. 252

18 Il aurait été dans la nature des choses que ce Conseil eût un organe exécutif propre et responsable de l’exécution des décisions. Voir M. Of. de 16 février 1893, Débats du Sénat, pp. 300-305. Voir aussi le Rapport au projet de loi départementale de 1898, apud P. Negulescu, R. Boilă, G. Alexianu, op. cit., pp. 509-510 et P. Negulescu, Tratat de drept administrativ român, Bucureşti, 1906, pp.321-326. C. Dissescu dans son Cours de droit public de 1891, Vol. III, p. 972 se prononçait aussi en faveur de la tendance consistant à octroyer au préfet en exclusivité des attributions de commissaire du Gouvernement, tandis que seraient créées, pour la représentation des intérêts départementaux, des autorités spéciales.

19 Voir François Burdeau, op. cit., p. 200

20 Par exemple, la loi obligeait le préfet à présenter à la Commission départementale, au début de chaque mois, l’état détaillé des ordonnances de délégation qu’il avait reçu ainsi que les mandats de paiement qu’il avait émis le mois précédent sur le budget départemental.

Articles Sept. 28, 2007
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ISSN: 1860-5605
First publication
Sept. 28, 2007

  • citation suggestion Manuel Guţan, Un cas roumain d’acculturation juridique: la Délégation du Conseil départemental (1864-1936) (Sept. 28, 2007), in forum historiae iuris, https://forhistiur.net2007-09-gutan